L'influence de l'Italie en
matière de mode, prépondérante en Europe depuis
la fin du XIIIe siècle, s'était peu à peu affaiblie
à partir du milieu du XVe siècle, en même temps
que, sur le plan politique, la persistance de son morcellement médiéval
l'exposait aux visées des monarchies occidentales qu'attiraient
ses richesses ; au contraire, la seconde moitié du XVe siècle.
avait vu se réaliser en France, en Espagne, dans les Pays-Bas,
des unités nationales favorables à leur développement
économique.
A la fin du XVe siècle,
l'habillement italien subissait l'action des modes étrangères,
parfois françaises et allemandes, mais surtout espagnoles : à
Ferrare, en 1494, les manteaux étaient « à l'espagnole
» et, pour les cérémonies publiques, les femmes
préféraient généralement les costumes d'Espagne
à cause de leur magnificence ; Lucrèce Borgia, Espagnole
d'origine et de goûts, donnait l'exemple. En 1491, au mariage
de Béatrice d'Este et de Ludovic le More, toutes les femmes portaient
des toilettes à l'espagnole. L'influence des modes allemandes
était plus restreinte, bien que Venise ait été
obligée d'interdire en 1504 les vêtements « à
la façon d'Allemagne ».
Les modes françaises,
très suivies dans le Piémont, l'étaient moins dans
le reste de l'Italie avant les Français : à Ferrare, en
1494, les chapeaux et les souliers sont seuls signalés comme
« à la française ». Mais l'expédition
de Naples modifia le courant en faveur de la France : très habilement,
sachant combien les Italiens étaient sensibles à l'élégance
et au faste, Charles VIII étala une magnificence qui lui conquit
toute l'Italie. Tandis que lui s'éprenait des modes italiennes,
partout on adopta les modes de France en les adaptant au goût
national : à Venise et dans toutes la partie septentrionale,
on porta les grands manteaux français. Quand l'ambassadeur Calco
vint en France pour négocier l'alliance des Sforza avec Charles
VIII, Béatrice d'Este tout acquise aux modes espagnoles,comme
on l'a vue, chargea son secrétaire de lui décrire les
toilettes d'Anne de Bretagne, et Ludovic le More en réclama les
dessins : l'engouement était réciproque !
En cette période d'adaptation
et d'hésitations s'atténuent peu à peu les excentricités
du siècle précédent. La campagne se poursuit contre
elles : des restrictions sont imposées en 1512 à Gênes
et Milan, en 1520 à Rome, contre les décolletés
profonds ; Venise édicte en 1514 des lois somptuaires et crée
un office particulier de contrôle. Faut-il chercher dans ces interdictions
l'effet de l'action déjà lointaine de Savonarole, brûlé
à Florence en 1498, mais dont la lutte ardente contre les Médicis
et l'art profane n'avait pas été sans résultats
?
Un historien florentin du
XVIe siècle, B. Varchi, écrit
« Nul doute que, depuis 1512, la manière de se vêtir,
tant chez les hommes que chez les femmes, n'ait acquis beaucoup d'élégance
et de grâce ; on ne porte plus... de ces grandes saies à
petits devants et larges manches, ni de ces bonnets avec revers relevés
jusqu'en haut... ni de ces petits souliers à talons ridicules.
Le manteau... est noir à l'ordinaire... » Le
Dialogue entre Raphaëla et Marguerite, rédigé en 1538
par Alexandre Piccolomini, préconise une mode « riche et
plaisante », et précise que le mieux, pour une femme, est
« d'imaginer des modes pour elle-même ».
Non
seulement le goût,
mais le type physique lui-même se transforme, phénomène
d'adaptation que la mode allait répéter bien souvent
dans la suite. Les Italiens apprécient de plus en plus
les femmes
« pleines de chair » et, selon Montaigne, « les façonnent
grosses et massives ». Muralti les compare à des tonneaux
de vin... C'est ce type que représentent déjà Palma
le Vieux et Bernardini et qui deviendra courant sous le pinceau
du Titien,
de Bronzino, de Sodoma et de Palma le Jeune ; les vêtements
sont surchargés d'ornements, le brocart écarlate
et le velours aux plis raides servent de support à des
parures magnifiques, ceintures de pierres précieuses,
chaînes, bagues d'or,
colliers de perles, pendentifs de rubis et d'émeraudes.
D'autres artistes ajoutent encore aux mains de leur modèle
quelque objet de luxe, bijou, éventail ou fourrure, qui
souligne leur rang ou leur richesse. Le costume s'impose peu à peu à l'esprit
de l'artiste italien de la Renaissance et on en arrivera insensiblement
à le voir dominer dans le portrait d'apparat de la fin du siècle,
témoignant de la place qu'il tient dans la société.
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En Italie comme ailleurs
en Europe, lorsqu'en 1525 la bataille de Pavie eut décidé
en faveur de Charles Quint, la prédominance espagnole réapparut,
sinon dans ses détails, du moins dans son esprit de luxe rigide
: au costume de cour de Charles Quint, l'Italie emprunte le système
d'armature supportant, autour de la poitrine et de la taille, la disposition
inflexible des plis conventionnels et y adapte ses tissus riches et
épais.
Les hommes portent ce costume
espagnol avec les hauts de chausses en forme de melon et le pourpoint
de couleur sombre. Ils appliquent au maximum le conseil de Raphaëlla
: « Le costume est pauvre lorsqu'il est de drap grossier »
et recherchent par-dessus tout la qualité et la beauté
des étoffes. Pourpoints de soie, manteaux de velours garnis de
fourrure, chapeaux de velours ornés le plus souvent d'une enseigne
ciselée ou émaillée ; ils étaient, disent
les auteurs contemporains, couverts de velours et de soie de la tête
aux pieds plus encore que les femmes, et tellement élégants
que, vers la fin du siècle, les courtisanes et même les
femmes de la bourgeoisie s'habillent de vêtements masculins.
D'Espagne aussi vient la
mode du noir, qui prédomine dans le costume masculin, comme en
témoignent les portraits peints par le Titien. Les dames portent
volontiers des costumes verts ou azurés ou d'un pourpre sombre,
mais Lucrèce Borgia marque une nette préférence
pour l'accord du noir et de l'or; une lettre de Laura Bentivoglia à
Isabelle d'Este (après 1502) la décrit étendue
sur son lit en robe de soie noire à jabot et à manches
étroites laissant dépasser les poignets de la chemise.
Balthazar Castiglione, dans le Cortegiano, estime que la couleur noire
plus qu'aucune autre donne de la grâce au vêtement et qu'à
défaut, au moins faut-il employer une couleur sombre. «
Pour le reste, je voudrais que le costume témoignât de
cette gravité que garde si fort la nation espagnole »,
ajoute-t-il, tout en se plaignant des « étrangers envahisseurs
» qui imposent leurs modes en Italie.
Jusqu'à la fin du
siècle, l'influence espagnole va s'accentuant : aucune femme,
aucun homme qui ne les affiche dans les magnifiques portraits qu'ont
laissés Salviati Brofizino, Moroni ou Barocchio. Presque partout,
le vêtement féminin se compose d'une robe de
dessus plus courte, gamurra (simarre), qui tient du surcot et de l'ancienne
houppelande, et d'une robe de dessous, sottana,
plus longue, toutes deux d'étoffe coûteuse et chargées de broderies.
La traîne est souvent longue et relevée ; les manches sont
tantôt bouillonnées, tantôt justes et à épaulettes.
Un voile complète cet habillement : le chapeau de paille n'apparaît
que vers le milieu du siècle.
Tout comme la femme espagnole,
l'italienne raidit sa silhouette par le cône du vertugadin et
l'élévation de ses patins. C'est le signe tangible de
la tutelle espagnole sous laquelle tombe alors l'Italie qui, à
l'exception de Venise, perd son rôle ancien de foyer le plus actif
de l'Europe : placée, après l'abdication de Charles Quint,
entre la domination effective de la dynastie d'Espagne et l'influence
du Saint-Empire des Habsbourg, elle traduira désormais dans son
costume le déclin de son autonomie économique et sociale. |